Caleluna

 
 

Un bon touché "de bulle" sur le terroir

Anselme Selosse, viticulteur éleveur de Champagne.

Un-Bon-Touche

 

F.T : Vous revendiquez l'identité de la Champagne, selon vous c'est quoi l'identité de la Champagne ?

  • Anselme Selosse : Ce sont les signes indicatifs d'une origine, un air de famille. Un élément que l'on peut retrouver nulle part ailleurs au monde. Pour le Champagne, c'est la superposition spécifique de 3 saveurs provenant de 3 minéraux en proportion prépondérante dans le sol et dans le vin.

F.T : Le champagne vient du travail des moines. Le champagne vient d'un monde contemplatif, un mariage difficile selon vous avec le monde économique actuel ?

  • Anselme Selosse : Les moines se souciaient peu de l'économique. Ils devaient en plus des prières avoir un rapport avec la nature. Ils produisaient des denrées diverses. Avec le temps, ils ont constaté que dans certains lieux, leurs produits avaient « une âme » qui conférait un sentiment... De nos jours, nous sommes leurs successeurs et notre rôle est d'expliquer, de « porter » ces produits auprès de consommateurs sensibles et de les vendre.

F.T : Vous êtes un anti donneur de leçon, un anti gourou si je puis dire, vous êtes pourtant une figure de proue d'une certaine idée de la viticulture, un gourou donc d'une certaine manière, ça vous dérange ?

  • Anselme Selosse : Je suis dans une chaine de transmission d'une culture culinaire. Chaque maillon de la chaine doit avoir la capacité d'expliquer d'où il vient. Je ne souhaite pas être un maillon faible ! La génération qui nous a précédés a commencé à se libérer de cet héritage. Dans la génération actuelle, des producteurs « font leurs œuvres » ; ma véhémence correspond à mon souhait de faire équilibre avec ces autres messagers.

F.T : Vous citez souvent Masanobu Fukuoka, vous êtes dans votre travail au plus près des lois naturelles, votre travail consiste à accompagner la nature, sans s'imposer à elle, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

  • Anselme Selosse : Il me fallait une autre vision après le passage par la biodynamie. Après avoir touché aux deux extrêmes, je souhaitais plus d'équilibre, plus d'humilité de l'humain. Il existe deux écoles pour la notion de terroir, celle qui considère que c'est l'homme qui fait le terroir et l'autre qui considère que l'homme n'est qu'un cueilleur qui rentre dans la forêt et prélève ce que la nature a produit dans ce lieu. La seconde me convient mieux et j'ai trouvé en Monsieur M Fukuoka l'équilibre qui me rassurait dans mes rapports à la nature.

F.T : Peut-on dire qu'il y a de la philosophie dans votre champagne?

  • Anselme Selosse : Si se poser les questions : qu'est-ce que le Champagne ? Qu'est-ce qu'un terroir ? Comment cela fonctionne ? Comment puis-je prendre le lien ? Que dois-je faire et ne pas faire ? Pourquoi vibre-t-on à la réception de certains messages ? Si tout cela c'est faire de la philo, alors oui il y a de la philosophie.

F.T : Vous comparez souvent la gastronomie à la poésie ?

  • Anselme Selosse : En gastronomie, nous ne mangeons pas pour nous nourrir. Nous ne dégustons pas des vins pour nous désaltérer. Nous sommes à la recherche d'émotions, de vibrations, d'évocations, d'évasions, de découvertes, ... comme peut le faire la poésie où l'association de mots n'indique plus seulement leurs définitions, mais évoque un nouvel univers que chacun s'imagine, qui est propre à la personnalité qui se met en « résonance ». C'est une rétrospective d'un vécu, d'une sensibilité, d'un imaginaire, tout personnel à celui qui la reçoit.

F.T : Le mot gastronomie n'est-il pas un peu galvaudé aujourd'hui ?

  • Anselme Selosse : Comme tous les mots en face desquels il n'y a plus de définition, comme terroir, paysan, biologique, écologie, vie, vieillir, etc.

F.T : Quel mot est le plus proche de vous, de votre travail ?

  • Anselme Selosse : Cueilleur, collecteur. Sinon viticulteur éleveur.

F.T : Je suis vos champagnes depuis plusieurs années, j'ai remarqué un travail de recherche, une recherche de compréhension, accompagné d'une véritable humilité, est-ce l'une des clés de votre réussite ?

  • Anselme Selosse : Qu'est-ce que la réussite ? Le succès commercial ou la sérénité intérieure qui vous permet d'être vous et de beaucoup donner aux autres ? Le premier, je l'ai croisé, la seconde, je l'attends!

F.T : Si j'ai bien compris, votre travail consiste à faire un Champagne qui ne puisse être fait nulle part ailleurs. On retrouve cette particularité dans votre collection de lieu-dit : même cépage, même vinification, même élevage et au final des champagnes avec une profondeur, une résonance particulière. Vous cherchez à capturer dans vos champagnes, l'identité du sol, l'expression de la vigne ?

  • Anselme Selosse : Oui c'est exact, mais je ne fais pas le vin, je le produis, je le révèle. Que fait l'humain dans la forêt? La forêt est la plus belle manifestation du végétal. En quoi avons-nous le droit d'exiger de la nature ? Pourquoi ne pourrions-nous pas accepter le défaut remarquable et le prendre « tel qu'il est né » ? L'homme par sa volonté de faire, cherche à se rassurer, à reproduire, à faire du systématique. Pourquoi ne pas encourager « l'autre » à « être » et non à « avoir » ?

F.T : Vous parlez souvent d'acquis et d'inné pour vos champagnes vous pouvez nous en dire un peu plus?

  • Anselme Selosse : Par la production de mes cuvées millésimées, je recherche la personnalité de la cuvée, le marqué par le vécu de la vigne et du vin dans l'année considérée, c'est l'acquis. Pour ma cuvée Substance, je cherche à mettre plus en avant l'inné. C'est-à-dire l'origine. Je ne sais pas mettre plus d'origine. En revanche j'ai les moyens de réduire l'impact du vécu. Je le résume par l'impact des conditions météo de l'année. Je prends donc toutes les vendanges, toutes les années, afin d'en faire une moyenne (une moyenne climatique). Elle traduit une constante du terroir, donc de l'origine. Le nom Origine a été déposé par un autre champenois à l'INPI. L'INPI nous interdit donc d'utiliser le mot origine. Nous avons donc choisi Substance. La définition est : "Ce qui est en soi et par soi, ce qui est permanent dans ce qui change, ce qui constitue le caractère fondamental ".

F.T : Vous comparez souvent le Champagne à certains vins d'Espagne, vous pouvez nous en dire un peu plus ?

  • Anselme Selosse : Les sapidités, les saveurs crissantes de la craie, l'amer du magnésium et le salé du sodium, existent dans les champagnes dignes de ce nom. Je les retrouve uniquement dans les vins d'Andalousie de la région de Jerez et de San Lucar.

F.T : Nous allons parler un peu dégustation. J'ai envie de vous dire, chacun son chemin face à la dégustation, il n'y a pas de vérité, pourtant pour déguster il faut être un peu initié, non ?

  • Anselme Selosse : Pour déguster, il faut fermer les yeux et se laisser porter. C'est un voyage où les paysages n'apparaissent pas à tous les coups et où les paysages sont spécifiques à chacun.

F.T : Je dégustais un jour avec un grand chef, et le chef face au liquide a dit : « il y a du salé, du sucré, de l'acidité, et de l'amer, c'est merveilleux, faire la même chose en cuisine est très dur ! » Qu'en pensez-vous ?

  • Anselme Selosse : Cette superposition des saveurs est exacte et est difficilement reproduisible dans le vin ; Seuls les grands vins naissent avec.

F.T : Peut-on trouver le goût "Umami" dans le champagne?

  • Anselme Selosse : Pourriez-vous me donner la définition exacte et les sensations précises de la saveur « Umami » ?

F.T : A l'étranger, on approche le vin par cépage, Chardonnay, Malbec... On est aux antipodes de votre travail et du terroir tout simplement. Comment voyez-vous l'évolution de nos vins dans leur singularité, face à cette approche si restrictive de l'étranger ?

  • Anselme Selosse : Jamais nous ne considérons notre vision du vin comme universelle. Nous souhaitons seulement avoir le droit d'exister et de proposer notre vision des bords de la Méditerranée à l'ensemble ; c'est la véritable globalisation.

F.T : Que pensez-vous des cocktails ? Et des cocktails au Champagne?

  • Anselme Selosse : Peu de choses.

Propos recueillis par Franck Taisset pour caleluna.fr

Carte de visite

  • Domaine Selosse.
  • Adresse : 22,  rue Ernest Vallé  51190 Avize.
  • Tél : 03 26 57 53 56 
  • Pas de visites.

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