Caleluna

 
 

Ayala le champagne des rois

Hervé Augustin, ex PDG de la maison de champagne Ayala.

 Ayala

 

F.T : Ayala évoque aux yeux du grand public le champagne zéro dosé, c'est-à-dire sans apport de liqueur (de sucre) ?

  • Hervé Augustin : Oui, la carte de visite d'Ayala est sa gamme classique avec une correspondance du même vin, en zéro dosé. Nous sommes ainsi les pionniers en matière de champagne rosé zéro dosé. On sert ainsi des champagnes très purs au plus proche du raisin. Ça donne des choses extrêmement fraîches. On va ainsi à la rencontre d'une tendance à long terme du marché, manger plus sain, boire plus sain, manger bio, boire zéro.

F.T : D'où vient cette tendance ?

  • Hervé Augustin : Le Japon illustre bien cette tendance du goût. Il n'y a pas si longtemps, au Japon, on buvait le champagne uniquement lors de mariages. On trinquait avec du champagne, mais on ne buvait pas le verre, car on n'aimait pas. Les plus belles bouteilles de champagne étaient utilisées comme objet de cadeaux, et on se les passait de personne en personne, le champagne pouvait être offert jusqu'à 30 fois. Depuis, les Japonais ont fait beaucoup de chemin. Aujourd'hui, le champagne zéro dosé plait beaucoup au Japonais. Il s'accorde merveilleusement bien avec les produits de la mer que l'on trouve au Japon. Il y a sur le plan mondial une évolution du goût qui va vers le plus pur, des liquides de moins en moins lourds, moins boisés et moins puissants. Une tendance qui s'élève face à la mode Parker. Le marché se tourne de nouveau vers la fraîcheur. On retrouve la finesse du pinot noir, on accepte ce que nous donne la nature, on retrouve ainsi les vrais produits du terroir, à la bonne saison. La consommation locale revient donc à grands pas. Le sucre a tendance à masquer le goût. Le sucre est le meilleur cosmétique inventé pour cacher la misère. En faisant du zéro dosé, nous n'avons pas droit à l'erreur, il faut donc au départ un grand vin. On doit véritablement cultiver la passion de la qualité.

F.T : D'où vient l'idée de faire du champagne 0 dosé ?

  • Hervé Augustin : On voit apparaître le champagne zéro dosé à partir des années 2000. Laurent Perrier a initié le courant avec un champagne ultra brut, il a mis l'accent sur le marché vers des produits moins dosés. Mais pour l'époque, c'était un champagne très incisif...Ca a peut-être laissé sur le marché, une image de champagne par forcément pour tout le monde. Après d'autres maisons ont suivi le pas vers le champagne zéro dosé.La particularité de notre maison est de pouvoir mettre côte à côte, le même champagne, la bouteille de brut et la bouteille zéro dosé. On peut les comparer et constater que quelques grammes de sucre changent le goût du champagne. On peut aussi ainsi tester son appréciation personnelle au sucre. On est dans une expérience de dégustation. Ceux qui aiment vraiment le vin et la pureté du vin préfèrent le champagne zéro dosé.

F.T : En matière de champagne, comment naissent les modes ?

  • Hervé Augustin : Le goût du champagne comme je vous l'ai dit évolu. Au 19ème siècle, le champagne au Royaume-Uni était extrêmement dosé, 66 g par litre. En France, on était à 100 g par litre et en Russie à 350 g par litre. Ayala à l'époque a été une des premières maisons à exporter à la couronne d'Angleterre du Champagne à 22 g de sucre par litre. On était déjà à l'époque dans cette philosophie d'une certaine manière. Le roi Edouard VII, avait beaucoup de goût et a ainsi conditionné et fixé une nouvelle norme pour le champagne. Ca a fait la prospérité de la maison, « Ayala le champagne des rois. » Mais certaines grandes maisons ont refusé pendant longtemps de confectionner ce genre de champagne : « Je ne vais certainement pas vous vendre ce style de poison. » Jusqu'aux années Folles, le champagne était donc souvent sucré et se buvait avec les desserts.

F.T : Les pays étrangers ont beaucoup apporté au champagne.

  • Hervé Augustin : Oui, on doit presque tout aux Anglais. Néanmoins le bouchon de champagne vient du Portugal. Historiquement, les Anglais ont toujours été les plus gros consommateurs de champagne. Et même aujourd'hui, une marque ne peut pas se prétendre internationale, si elle n'a pas une position importante au Royaume-Uni. Au début du champagne, on exportait le champagne en tonneau. Il n'y avait pas encore le décret sous Louis XIV qui permettait de vendre en bouteille. Ce sont des Français établis à Londres qui faisaient venir des tonneaux de Champagne. Et en les mettant en bouteille au printemps, ils avaient remarqué cette effervescence du vin. Ils ont ainsi demandé aux Champenois de produire directement en bouteille... Les Anglais ont aussi inventé le champagne millésimé et nous l'ont imposé. On leur doit aussi la couleur foncée des bouteilles de champagne. Le sucre de canne à l'époque venait aussi des colonies britanniques. C'est Napoléon qui par la suite a développé la culture de betterave à sucre. Aujourd'hui au Royaume-Uni, on produit du vin mousseux. Le climat et la géologie sont assez proches de la Champagne. Il faut des températures assez froides afin d'obtenir de l'acidité. Un stress hydrique est aussi nécessaire. Les Anglais ont beaucoup investi et progressent assez rapidement. Ce que l'on a goûté pour l'instant est intéressant, mais les prix sont beaucoup plus chers par rapport au champagne à qualité égale.

F.T : La particularité du champagne est qu'il peut accompagner tout un repas.

  • Hervé Augustin : Oui, Enrico Bernardo (meilleur sommelier au monde) l'associe même à une pizza. On peut jouer sur une gamme tout au long d'un repas. Mais un grand champagne sera parfait du début à la fin du repas, et à toute heure du jour et de la nuit. Churchill disait qu'il se levait avec du champagne. Il a dit aussi : « En cas de victoire, je le mérite. En cas de défaite, j'en ai vraiment besoin. » Le grand mérite du champagne est d'être un vin de célébration bien sûr, de partage entre amis mais aussi un euphorisant, un antidépresseur. Il n'y a pas la même gaité quand on ouvre une bouteille de champagne que lorsqu'on ouvre une bouteille d'un grand vin rouge ou blanc. Avec le champagne on fait vraiment plaisir à tout le monde.

F.T : Ça vient d'où cet esprit de fête, de gloire, cette image d'amour du champagne ?

  • Hervé Augustin : De par l'histoire, le champagne est un produit élitiste, aristocrate. Ça a été la boisson des rois, ensuite la boisson des puissants et par la suite la boisson de la conquête amoureuse. Ouvrir une bouteille de champagne est une déclaration d'amour. Une image pleine de symbole et de charme. Et on le constate très bien dans les pays émergeants. Dès qu'une classe sociale accède à un niveau supérieur, la consommation de champagne se répand, les gens ont besoin de montrer leur accession à ce niveau de prospérité en consommant du champagne.

F.T : A quel marché pensez-vous ?

  • Hervé Augustin : On commence à boire du champagne en Inde et au Brésil. L'Inde est très intéressante. Mais pour le reste, il y a une éducation anglaise et l'élite a été éduquée dans les grandes écoles britanniques, donc on peut espérer beaucoup de ce côté-là. Hélas, on est aujourd'hui brimé en Inde par des droits de douane prohibitifs. Le Brésil quant à lui, a un développement rapide avec des droits de douane très élevés aussi, mais le marché du champagne a bien commencé.


F.T : Quels sont vos principaux marchés ?

  • Hervé Augustin : notre niveau, on peut boire notre champagne dans environ 60 pays avec modération bien sûr, nos principaux marchés sont le Royaume-Uni, le Japon, les Etats-Unis, Singapour, la Malaisie et l'Europe bien sûr. Le travail à l'export est un travail de missionnaire avec des résultats à long terme, il faut semer en pensant à demain. L'enjeu pour nous de demain, est de continuer la recherche d'une qualité optimale. On doit être en quête de ce qu'il y a de meilleur et travailler avec les vignerons les plus sérieux. On doit aussi être vigilant sur le traitement des sols, sur la culture raisonnée, en allant au plus près du raisin, du plus pur avec un raisin peu traité.

F.T : La qualité du raisin est donc primordiale.

  • Hervé Augustin : Oui, tout à fait. Il existe trois principaux cépages en champagne, le pinot noir qui est le cépage dominant et qui représente 38% des surfaces, le pinot meunier qui représente 35% et le chardonnay qui représente 27% des surfaces. Le chardonnay, c'est l'élégance. Le pinot noir est plus dans la robustesse, il apporte la structure, le corps. Le pinot meunier donne plus de fruité et de rondeur. En champagne, il y a un monopole des vignerons sur la propriété de la terre. 90% des surfaces appartiennent à 15 000 vignerons. Le pouvoir en champagne est entre les mains des vignerons. Il existe des qualités de raisins différentes. C'est à nous d'entretenir un partenariat à long terme avec les vignerons que nous avons choisis. Nous ne produisons pas le raisin, pratiquement aucune maison de champagne n'est auto suffisante. C'est la différence avec Bordeaux par exemple, où l'ensemble du raisin vient de la propriété. En champagne, nous sommes comme dans le whisky, notre fonction est d'élaborer par l'assemblage. Le chef de cave en champagne est un génie de l'assemblage. C'est le nez d'un parfumeur qui va choisir à partir d'une multitude de combinaisons possibles le style de son champagne. Il nous faut donc acheter le raisin auprès de différents vignerons dans des quantités plus importantes que nos besoins. Cela nous permet de faire des sélections à la vendange et à l'assemblage.


F.T : Que pensez des premiers crus et grands crus ?

  • Hervé Augustin : Le classement grand cru et 1er cru a une pertinence d'un point de vue général. Mais il faut savoir que c'est un village entier qui est classé et pas le vigneron uniquement. Il y a donc du très bon et du très moyen. C'est à nous d'aller choisir. Sur un coteau par exemple, le haut et le bas sont de qualité inférieure au centre du coteau. C'est une question de risque de gel pour le bas et de gel et de vent pour le haut du coteau. Il faut donc trouver des vignerons qui soient bien placés et qui aient en plus la culture de la qualité.

F.T : Peut- on faire vieillir un champagne ?

  • Hervé Augustin : Les champagnes Ayala ont déjà vieilli 3 ans en cave, un temps optimal selon nous. On peut les consommer ainsi immédiatement. Nous recherchons la fraîcheur, la pureté. Je vous conseille de les consommer dans les six mois, car en faisant vieillir notre champagne vous risquez de perdre cette fraicheur. Notre champagne risque de se trouver dénaturé. Pour le champagne Bollinger, c'est l'inverse. Le champagne Bollinger est fait pour aller dans le temps, il conserve son style, en l'amplifiant en vieillissant, c'est tout simplement magique. Tout dépend ce que l'on recherche au départ. Notre champagne reste d'un excellent rapport qualité prix. Notre ami Michel Bettane a écrit que le grand public n'avait pas encore conscience de l'excellent rapport qualité prix du champagne Ayala. On offre donc un grand plaisir pour un très bon rapport qualité prix.

F.T : Un dernier mot.

  • Hervé Augustin : Je tiens à souligner qu'un grand champagne est avant tout un grand vin. Et pour faire un grand vin, il faut s'intéresser au raisin, il faut aussi maitriser l'œnologie, et il faut surtout de la passion. C'est pour ça que l'on rencontre en Champagne comme dans toutes les régions viticoles, des gens qui sont animés par la passion du terroir et du vin, et qui vont tenter toutes les expériences pour optimiser leur quête de la qualité. Le champagne représente trois siècles de recherche. Au départ, un vin très moyen devenu le vin des rois, des princes et le prince des vins. La 2ème fermentation lui a donné l'effervescence, son côté magique.

Propos recueillis par Franck Taisset, pour caleluna.fr

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